Histoire de France (Vol 02) 814-1189 by Histoire de France - Jules Michelet

Histoire de France (Vol 02) 814-1189 by Histoire de France - Jules Michelet

Auteur:Histoire de France - Jules Michelet [Michelet, Histoire de France - Jules]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2014-03-25T23:00:00+00:00


CHAPITRE IV

SUITES DE LA CROISADE—LES COMMUNES

—ABAILARD

—PREMIÈRE MOITIÉ DU XIIe SIÈCLE

1100-1135

Il appartient à Dieu de se réjouir sur son œuvre, et de dire: Ceci est bon. Il n'en est pas ainsi de l'homme. Quand il a fait la sienne, quand il a bien travaillé, qu'il a bien couru et sué, quand il a vaincu, et qu'il le tient enfin, l'objet adoré, il ne le reconnaît plus, le laisse tomber des mains, le prend en dégoût, et soi-même. Alors ce n'est plus pour lui la peine de vivre; il n'a réussi, avec tant d'efforts, qu'à s'ôter son Dieu. Ainsi Alexandre mourut de tristesse quand il eut conquis l'Asie, et Alaric, quand il eut pris Rome. Godefroi de Bouillon n'eut pas plutôt la terre sainte qu'il s'assit découragé sur cette terre, et languit de reposer dans son sein. Petits et grands, nous sommes tous en ceci Alexandre et Godefroi. L'historien comme le héros. Le sec et froid Gibbon lui-même exprime une émotion mélancolique, quand il a fini son grand ouvrage[382]. Et moi, si j'ose aussi parler, j'entrevois, avec autant de crainte que de désir, l'époque où j'aurai terminé la longue croisade à travers les siècles, que j'entreprends pour ma patrie.

La tristesse fut grande pour les hommes du moyen âge, quand ils furent au but de cette aventureuse expédition, et jouirent de cette Jérusalem tant désirée. Six cent mille homme s'étaient croisés. Ils n'étaient plus que vingt-cinq mille en sortant d'Antioche; et quand ils eurent pris la cité sainte, Godefroi resta pour la défendre avec trois cents chevaliers: quelques autres à Tripoli, avec Raymond; à Edesse, avec Baudouin; à Antioche, avec Bohémond. Dix mille hommes revirent l'Europe. Qu'était devenu tout le reste? Il était facile d'en trouver la trace; elle était marquée par la Hongrie, l'empire grec et l'Asie, sur une route blanche d'ossements. Tant d'efforts et un tel résultat! Il ne faut pas s'étonner si le vainqueur lui-même prit la vie en dégoût. Godefroi n'accusa pas Dieu, mais il languit et mourut[383].

C'est qu'il ne se doutait pas du résultat véritable de la croisade. Ce résultat qu'on ne pouvait ni voir, ni toucher, n'en était pas moins réel. L'Europe et l'Asie s'étaient approchées, reconnues; les haines d'ignorance avaient déjà diminué. Comparons le langage des contemporains avant et après la croisade.

«C'était chose amusante, dit le farouche Raymond d'Agiles, de voir les Turcs, pressés de tous côtés par les nôtres, se jeter en fuyant les uns sur les autres et se pousser mutuellement dans les précipices: c'était un spectacle assez amusant et délectable[384].»

Tout est changé après la croisade[385]. Le frère et successeur de Godefroi, le roi Baudouin épouse une femme issue d'une famille illustre «parmi les gentils du pays.» Lui-même adopte leurs usages, prend une robe longue, laisse croître sa barbe, et se fait adorer à l'orientale. Il commence à compter les Sarrasins pour des hommes. Blessé, il refuse à ses médecins la permission de blesser un prisonnier pour étudier son mal[386]. Il a pitié d'une prisonnière musulmane qui accouche dans son armée: il arrête sa marche, plutôt que de l'abandonner dans le désert[387].



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